Transition alimentaire : comment accompagner le changement sous contrainte ?

23 juin 2023

Dans le cadre de son assemblée générale annuelle, Aprifel a organisé le 13 juin dernier une après-midi autour de la thématique « Organiser le changement sous contrainte ». Animée par Delphine Tailliez – Directrice d’Aprifel – cet évènement a donné la parole à des experts d’horizon variés et réuni près 40 personnes. Cette conférence-débat a permis d’identifier des points clés et axes d’accompagnement du changement de comportement dans les transitions alimentaires dans un contexte de contraintes nouvelles et croissantes.

Changement climatique, pandémies, inflation, pénuries, conflits armés…. Ces dernières décennies le monde fait face à des turbulences croissantes mettant l’humanité face à des contraintes nouvelles et pour certaines difficilement prévisibles. Face à ce contexte fluctuant et nouveau et aux changements qu’il impose, comment accompagner au mieux les individus pour faire évoluer les comportements et s’adapter ? Cette question était au cœur de la conférence-débat (voir encadré) organisée le 13 juin dernier, à l’occasion de l’Assemblée générale annuelle d’Aprifel. Face au poids des maladies chroniques et l’impératif d’accroitre la durabilité de nos modes de vie, l’alimentation, est en effet, particulièrement emblématique en la matière.

Comprendre la logique de ceux que l’on veut faire changer est impératif

Introduisant cette après-midi, Dominique Desjeux, anthropologue et professeur émérite à l’Université de Paris-Cité, a pioché des exemples dans les études qu’il a conduites durant sa carrière pour illustrer comment la contrainte peut susciter le changement.

Une enquête menée durant les confinements a par exemple montré les adaptations mises en place par les ménages concernant l’organisation et le stockage des denrées face aux restrictions de circulation. Afin de limiter les pertes et les sorties pour effectuer des achats, les consommateurs ont par exemple eu recours à la congélation afin d’allonger la durée de conservation des aliments.

Ainsi, les contraintes, peuvent faire changer les comportements, cependant ces changements ne sont pas pérennes et on observe un retour aux habitudes antérieures une fois les contraintes disparues.

Concernant la consommation de fruits et légumes, Dominique Desjeux a listé 3 grandes catégories de contraintes auxquelles les consommateurs peuvent être confrontés :

  • Les contraintes matérielles : temps, espace, budget, énergie…
  • Les contraintes sociales : expertise culinaire, normes sociales, réseaux sociaux…
  • Les contraintes symboliques et psychosociales : identité personnelle ou professionnelle, risques perçus, charge mentale…

Enfin, en conclusion de son intervention, Dominique Desjeux a souligné qu’un des fondements essentiels pour espérer faire changer les comportements est de connaitre et comprendre le public visé et ses contraintes afin de lui apporter un soutien pour les contourner.

On ne peut accompagner que si on comprend la logique de fonctionnement et les contraintes des consommateurs.
Domique Desjeux

Connaitre et apprivoiser les fruits et légumes, pan essentiel de l’éducation alimentaire

Dans un second temps, Jérémie Lafraire, Directeur de recherche à l’Institut Paul Bocuse, a expliqué, à travers à l’exemple de la néophobie alimentaire, que les comportements alimentaires sont multifactoriels et que l’information seule ne suffit pas à les faire évoluer.

La néophobie alimentaire désigne le phénomène de rejet de certaines catégories d’aliments, en particulier des légumes, qui se manifeste chez les enfants âgés de 2 à 3 ans. Bien qu’il s’agisse d’une phase normale et transitoire du développement de l’enfant, elle peut, chez certains, perdurer et exposer à des risques de troubles du comportement alimentaire.

Les causes de la néophobie sont multiples et encore incomplètement élucidées. La littérature disponible montre que les préférences sensorielles ne suffisent pas à expliquer l’apparition de ce phénomène chez l’enfant. Par ailleurs, des travaux montrent que toutes les expositions permettant d’augmenter la familiarité de l’enfant avec l’aliment et facilitant, ainsi, son identification (exposition visuelle, toucher, histoires etc) contribuent à favoriser son acceptation.

Ce qui rend un aliment acceptable dépend de l’ensemble des connaissances qui lui sont associées et du contexte de sa consommation. Plus le répertoire alimentaire est restreint/limité, plus la néophobie alimentaire sera marquée.
Jérémie Lafraire

Ainsi, diverses dimensions – préférences gustatives, génétique, savoirs, expériences…- interviennent et interagissent dans la construction des préférences alimentaires. Ces connaissances restent à compléter mais invitent à ne pas limiter l’éducation alimentaire à des savoirs d’ordre nutritionnels et à intégrer également des connaissances contextuelles et expérientielles (dégustations, potager, visites sur le terrain …).

Soutenir le changement avec des moyens dédiés et gradués

Benjamin Cavalli, Directeur de l’association Programme MALIN, a ensuite partagé son expérience en matière d’accompagnement des familles. Depuis plus de 10 ans, programme Malin accompagne les familles d’enfants de 0 à 3 ans sur les enjeux alimentaires, avec un accent porté sur les familles à bas revenus.

Actuellement, en France, 1 enfant sur 4 est issu d’une famille précaire et se trouve en insécurité alimentaire.
Benjamin Cavalli
De plus, l’aide alimentaire ne bénéficie pas à tous : il y a 3 fois plus de personnes dans le besoin que de bénéficiaires.
Benjamin Cavalli

Considérant l’importance des 1000 premiers jours comme tremplin du capital santé, programme MALIN vise notamment à aider les familles à se réapproprier leur alimentation au travers de 2 champs d’actions :

  • Fournir, à toutes les familles, des conseils et du contenu pédagogique sur les enjeux de l’alimentation et l’importance de la nutrition de l’enfant ;
  • Proposer aux familles à bas revenus des solutions pratiques pour répondre notamment à la contrainte budgétaire et rendre accessibles des produits adaptés et de qualité.

Grâce à la mobilisation d’organismes et le soutien d’entreprises partenaires, programme MALIN propose, ainsi, aux familles à bas revenu des bons de réduction sur un sélection de produits alimentaires recommandés dans le cadre du PNNS et spécifiques à l’alimentation de l’enfant, comme le lait infantile. Ces bons sont utilisables dans n’importe que lieu d’achat, un aspect essentiel pour garantir l’accessibilité des produits et éviter la stigmatisation des bénéficiaires.

A l’aune des résultats positifs du programme, Benjamin Cavalli a souligné la complémentarité de l’approche. Certes, fournir de la connaissance et des repères est utile pour de nombreuses familles, mais lever les contraintes est un préalable central pour accompagner des changements de comportements :

  • La contrainte budgétaire reste, en effet, l’arbitre central des choix alimentaires, a fortiori dans un contexte d’inflation persistante ;
  • La contrainte matérielle, souvent peu considérée, limite pourtant les pratiques culinaires. Chez de nombreuses famille l’espace dédié au stockage et à la préparation des repas est en effet restreint et le matériel disponible se limite à un micro-ondes.

L’accompagnement proposé doit ainsi tenir compte de ces freins et se faire par étape en donnant aux personnes les conditions de la réussite.

Organiser le changement avec un collectif local impliqué

Dernier intervenant de l’après-midi, Thibault Deschamps, Président du programme VIF – “Vivons en Forme” – et conseiller technique athlétisme au ministère chargé des Sports a souligné la nécessité d’un travail collectif pour organiser et soutenir le changement de comportement.

A travers l’exemple de la pandémie du COVID 19, il rappelle comment la contrainte et ses conséquences ont été des accélérateurs de la prévention. La crise du COVID a notamment illustré que les solutions à de nombreuses problématiques se trouvaient dans les interactions et la proximité.

Anciennement EPODE, le programme VIF vise à accompagner et à faire monter en compétences les collectivités locales et territoriales pour la mise en œuvre d’actions de santé publique. L’objectif initial était de réduire la prévalence du surpoids et de l’obésité mais s’est étendu depuis à d’autres initiatives autour de l’activité physique, du bien-être et du sommeil. Soutenu par 4 ministères, l’association déploie son programme dans 271 communes et souhaite étendre son mouvement afin de toucher le plus grand nombre.

Pour Thibault Deschamps, les résultats du programme VIF soulignent les bénéfices de s’ancrer dans le local et les dynamiques collectives pour soutenir les changements de comportement. Ainsi, le programme VIF repose à la fois sur des bonnes pratiques collectives et partagées, intègre les spécificités et forces locales aux actions et bénéficie des dynamiques territoriales.

En conclusion de cette matinée, Christel Teyssedre, présidente d’Aprifel a remercié les intervenants pour la richesse des échanges qui illustrent notamment :

  • La nécessité des messages homogènes, tenant compte des réalités et contraintes de chacun sur les changements à opérer ;
  • La force d’un collectif mobilisé à différentes échelles.

Ces débats confortent le rôle d’Aprifel dans l’information et l’accompagnement du changement. Pour poursuivre les échanges de cette après-midi, la présidente d’Aprifel a invité les participants à assister à la conférence EGEA 2023 « Alimentation, fruits et légumes et santé globale » qui se déroulera du 20 au 22 septembre 2023 à Barcelone.

2023 : année dédiée aux transitions alimentaires

La conférence débat organisée à l’occasion de l’assemblée générale s’inscrit dans un cycle de 3 conférences organisées en 2023 par Aprifel autour la transition alimentaire :

  • Le 02 mars lors du Salon International de l’Agriculture, la « Alimentation durable : où en sont les français, quelles sont les clés de la réussite ? »
  • Le 13 juin « Organiser le changement sous contrainte »
  • Du 20 au 22 septembre, la conférence EGEA « Alimentation, fruits & légumes et santé globale : quelles contributions ? » viendra terminer ce cycle.
Retour